Vous vous croyez encore dans une plantation ?


paru dans lundimatin#239, le 20 avril 2020


Vous promettez du sang et des larmes. Vous vous glorifiez de la férocité cannibale du capitalisme et de sa puissance destructrice. Vous vous pensez supérieurs à ce virus qui pourrait vous donner des leçons d’humanité. Vous promettez le fruit décharné de la bonté des banques. Vous pensez qu’on achève bien les chevaux pourquoi pas les hommes.


« L’important, c’est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse, pour tenter d’effacer, dès 2021, les pertes de croissance de 2020 »,

Geoffroy Roux de Bezieux, président du Medef


Vous vous croyez encore les maîtres de la plantation, faisant tournoyer votre fouet pour nous broyer de votre haleine de pierre aussi violente que la peur.

Vous croyez au mea culpa contagieux : Travaillez plus !

Vous parodiez la liberté sur des bulletins de salaires, vous menacez alors que nous sommes en état de survivance.

Vous rêvez de mettre la main sur les jours fériés et sur nos légitimes répits. Tel est votre projet d’annihilation de nos vies.

Votre système comme tous les systèmes s’appauvrira par vos actionnaires, garants et facturiers de la sueur humaine, de la maladie et de la mort (la poésie a elle aussi ses courageux actionnaires qui, en temps de détresse, se complaisent à la dévaloriser par une plus-value de nigauderie).

Vous croyez régner sur un peuple de somnambules disciplinés.

L’art de se reproduire dans la misère n’est pas un jeu.

Votre avidité, votre violence mentale s’infiltrent partout jusque sous nos masques de fantômes mélancoliques. Jamais la nature n’aura autant soumis votre charité à la frappe brûlante d’une effraction mais vous continuez à pourvoir votre increvable pulsion de mort à la tribune politico-médiatique comme dans toutes les bourses de valeurs, de matières premières et autres produits financiers du monde.

Vous vous croyez encore dans l’économie des plantations de coton ou de tabac des colonies.

Vous dominez la télévision – ce coroner – avec une science retorse du fonctionnement le plus intime de notre culpabilité de reclus. Vos spéculations boursières remplissent les cimetières.

Vous êtes la mort.

Non l’art de se reproduire dans la misère n’est pas un jeu. Mais les anciens volcans et chaudrons de liberté ne sont pas éteints. Nous allons désapprendre la peur.

Non, on n’achève pas les hommes.

Delphine Durand
Rennes, le 13 avril 2020

Sagesse et révolte

Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s'y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d'Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l'idée même de révolte ne viendra même plus à l'esprit des hommes.

L'idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l'éducation, pour la ramener à une forme d'insertion professionnelle. Un individu inculte n'a qu'un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l'accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l'information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l'émotionnel ou l'instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d'empêcher l'esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n'y a rien de mieux.

En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l'existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d'entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l'euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu'il faudra entretenir – sera celle d'être exclu du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L'homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu'il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l'être un troupeau. Tout ce qui permet d'endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l'éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d'abord être désignée comme subversive et terroriste, et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu'il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l'argent et du pouvoir.

Serge Carfantan  2007

 

TRIBUNE LIBRE APRÈS LES PROPOS DU CHEF DE L’ÉTAT SUR LA DICTATURE. NON, MONSIEUR MACRON, NOUS NE SOMMES PLUS EN DÉMOCRATIE

On connaît la formule : « La dictature, c’est ferme ta gueule ; la démocratie, c’est cause toujours ». Normalement, ce devrait être pour rire. Le problème, depuis longtemps déjà, c’est que beaucoup de supposés « démocrates » se contentent très bien de la formule : causez toujours. Et c’est vrai : trente ans que « ça cause » – dans le vide : aux gouvernements successifs, tous différents paraît-il, mais qui font tous la même chose. Et tous d’aller de stupéfaction en stupéfaction : TCE 2005, FN 2002 et 2017, gilets jaunes. Pour tous ces prétendus médiateurs, les alarmes n’auront pourtant pas manqué depuis vingt ans. Qu’ils s’examinent et s’interrogent : « Quel compte réel en aurons-nous tenu ? » Et la réponse à la question éclairera aussitôt le présent politique et ses formes.

Du côté des pouvoirs, ce ne sont à l’évidence plus celles de la démocratie. Car il n’y a plus de démocratie quand un projet de loi dont tout atteste qu’il est refusé par une écrasante majorité est maintenu envers et contre tout. Il n’y en a plus quand le gros de la population est voué à l’enfoncement dans la précarité. Quand, les uns après les autres, tous les corps de métier se révoltent contre la destruction de leurs conditions d’exercice, et, pour toute réponse, n’obtiennent que les regards vides de leurs directeurs et la continuation de la destruction sans le moindre temps mort.

C’est pourquoi Emmanuel Macron s’enfonce un peu plus chaque fois qu’il répète que « la démocratie, c’est la parole, pas la violence », quand toute sa pratique du pouvoir atteste que la parole ne sert à rien – et qu’au lieu de son écoute il fait donner la police. Le pays entier gronde, et le pouvoir est sourd – on devrait dire plus exactement : et le pouvoir s’en fout. Ce serait même une définition possible, sinon de la dictature, du moins de la sortie de la démocratie : quand le pouvoir s’en fout.

C’est ce que les gilets jaunes ont compris : quand toutes les voies de recours offertes à la parole de la population ont été tentées, depuis si longtemps et en vain, alors il ne reste plus d’autre solution que de faire autre chose. Il n’y a pas de violence politique de rue sans une faillite antécédente, abyssale, de la médiation institutionnelle. De la « démocratie », il ne reste alors plus que la forme vide de l’élection, ultime argument des gouvernants sécessionnistes qui ne veulent plus rien avoir à connaître des gouvernés. « Il a été élu régulièrement », « il est légitime ». Formules creuses d’un pouvoir séparé, qui pensait que « ne pas écouter » suffirait, que l’inertie ferait le reste, mais découvre que non, et n’a plus comme réflexe que de constituer ses opposants en « ennemis de l’État », pour leur appliquer une violence policière sans précédent depuis soixante-dix ans, et les dispositions de l’antiterrorisme. Au reste, tout le monde le sait : du moment où la police mettrait casque à terre, ce pouvoir n’aurait pas une semaine d’espérance de vie, et c’est bien à ce genre d’expérience de pensée qu’on connaît la nature réelle d’un régime politique.

C’est que le « cause toujours » a, ces derniers temps, beaucoup reçu le renfort du « ferme ta gueule ». Oui, les gueules ont été fermées à coups de LBD, de grenades et de matraques. Mais aussi d’interpellations préventives, de directives aux parquets, de surveillance électronique, de versement de l’état d’urgence dans la loi ordinaire, et pour bientôt de reconnaissance faciale et de lois de censure numérique. Tout ça mis ensemble commence à faire un tableau. « Essayez donc la dictature », nous enjoint par défi Emmanuel Macron. Comment dire… c’est bien, pour notre malheur, ce qu’on nous fait « essayer » en ce moment. Si une part si importante de la population est dans un tel état de rage, c’est d’abord par les agressions répétées qui lui sont faites, mais aussi parce que, précisément, après tant d’années à avoir été réduite à l’inexistence politique, elle aimerait bien « essayer la démocratie ».

Signataires : Jacques Bidet, philosophe, Christine Delphy, sociologue, Elsa Dorlin, politiste, Jean-Baptiste Eyraud, Droit au logement, Éric Fassin, sociologue, Bruno Gaccio, artiste, Frédéric Lordon, philosophe, Jean-Luc Nancy, philosophe, Xavier Mathieu, syndicaliste, Gérard Mordillat, écrivain et réalisateur, Willy Pelletier, sociologue, Monique et Michel Pinçon-Charlot, sociologues, Jérôme Rodrigues, gilet jaune, Malika Zediri, association de chômeurs Apeis.

Article source sur l'Humanité

5 techniques pour détruire la Sécu

  • Réduction des cotisations
  • Transfert à la Sécu de charges l’État pour réduire le déficit du budget
  • Non-compensation des cotisations et des réductions de CSG
  • Réforme des retraites
  • Déconsidération par l'expression consacrée : « le trou » de la Sécu

Article édité le 29 OCT. 2019 
PAR EDMOND.HARLE 
BLOG MEDIAPART : LE BLOG DE EDMOND HARLE

La Sécu, imaginée par les Résistants aux heures les plus noires de l’histoire de l’Europe pour sécuriser notre vie de la naissance à la mort et garantir la maternité, l’éducation des enfants, la santé et la vieillesse est condamnée par Macron a une mort programmée pour livrer notre santé et notre vieillesse à ses maîtres financiers.

Il s’agit d’un meurtre avec préméditation, donc d’un assassinat.

Sa destruction masquée, parfois sous des aspects sympathiques, se fait de manière systématique, déterminée et accélérée en 2020.

Pour cela 5 techniques principales sont employées et le budget 2020, confirmé par  l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) marque une accélération dans cette destruction pierre par pierre.

La 1ère technique est celle de la réduction des cotisations

Réduire les cotisations des salariés apparaît sympathique surtout si son remplacement par la CSG laisse apparaître un léger gain sur le bulletin de paye. Il s’agit pourtant d’anesthésier les salariés pour mieux les priver de leurs droits. En 2018 la cotisation salariale d’assurance maladie de 0,15% (0,75% jusqu’à Macron) a été supprimée. Cela va justifier de priver leurs représentants d’un droit de regard sur sa gestion. Les réductions patronales sont beaucoup plus importantes. La cotisation d’assurance maladie-maternité-incapacité a été réduite de 6% pour les patrons au 1er janvier 2019, soit une baisse de fait de la part salariales dans la plus-value de l’entreprise de 6%  Celle-là les salariés ne les voient pas mais c’est leur rémunération réelle qui est amputée car les cotisations patronales font partie de la rémunération du travail. Ce sont 6% de plus qui passent du travail au capital. Ce sont les français qui vont en souffrir avec 2 conséquences : une partie est transférée sur l’impôt qu’ils vont payer à la place des entreprises et leurs prestations seront réduites. C’est donc aussi un transfert des cotisations patronales vers l’impôt des ménages

La 2ème technique est le transfert à la Sécu de charges l’État pour réduire le déficit du budget

Le budget 2020 opère le transfert de nouvelles charges à la Sécu.

La loi de finance affirme, article 9, garantir la « neutralité financière » du «transfert de l’État à l’assurance maladie du financement de l’Agence nationale de santé publique (Santé publique France) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ». En réalité rien ne prouve que cela sera effectif dans l’exécution financière et, comme pour tous les transferts de l’État vers les collectivités locales, le transfert se fait à coût de l’année de transfert et ne couvrira pas les charges futures qui augmenteront. Cela est particulièrement vrai pour ces 2 transferts de 2020 : l’Agence nationale de Santé publique a besoin de moyens supplémentaires quand on connaît les questions posées par les pesticides, les perturbateurs endocriniens,…. C’est pire encore pour l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM) : les scandales (médiator,…) prouvent qu’elle n’a pas eu les moyens de sa fonction. Ainsi la Sécu devra payer ce que l’État payait insuffisamment auparavant.

La 3ème technique est celle de la non-compensation des cotisations et des réductions de CSG

Une fois la cotisation supprimée, le gouvernement a la main sur le montant des sommes qu’il alloue à la Sécu par la CSG. Il peut compenser ou ne pas compenser. Ceci est prouvé par les budgets 2019 et 2020 par une gymnastique en 4 temps :

  • 1°- on réduit les cotisations d‘assurance maladie (0,75% de cotisations salariales et 6% patronales.
  • 2°- On inscrit au budget une augmentation 2019 de la CSG pour faire semblant de compenser cette réduction.
  • 3°- Après le mouvement des Gilets Jaunes on supprime  la majoration de CSG des retraités.
  • 4°- On inscrit dans le budget 2020, article 9, que, « La sécurité sociale prendra à sa charge le financement des mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat ». En clair c’est la sécu qui va payer les 4,5MM de réduction d’impôts promis par l’État grâce aux Gilets jaunes.

La loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) par son article 3, malgré un vote contre en commission et le refus de tous les partis d’opposition et d’une partie des députés d’En Marche arrière, institutionnalise la non- compensation par l’État des réductions de recettes qu’il impose à la Sécu.

Cette compensation est pourtant inscrite dans la loi Veil de 1994 dont la ministre de la Santé se dit l’héritière.

Il s’agit ici d’un changement complet de philosophie et de la destruction de la Sécu voulue par les résistants.

C’est une rupture totale du contrat social de 1944 déjà bien entamé par Sarkozy et Hollande-Macron.

Le premier effet est la disparition de la gestion paritaire associant les partenaires sociaux à la gestion de la Sécu qui vient comme l’aboutissement des ordonnances Pompidou de 1967. Cette étatisation correspond aussi à la volonté de réduire les dépenses sociales de manière drastique afin de contraindre les français à se tourner vers les assurances privées des maîtres de Macron.

Le 2ème effet est de plonger la Sécu dans le déficit : En 2020, ce sont 1,9 milliard d’€ de manque à gagner sur les heures supp, 1,2 Md sur la défiscalisation de la prime de 1 000 €, 600 millions par la suppression du forfait social sur l’intéressement et la participation (cadeau aux seuls patrons) et 1,5 Md par la suppression de la hausse de la CSG pour les retraités modestes. Au total ce sont donc 5,2 milliards d’€ qui sont volés à la Sécu par une décision politique.

Si l’on ajoute à cela que l’État ne rembourse pas la dette de l’État mais fait porter le désendettement public à la Sécu en lui imposant 15,7 Md de remboursements en 2019, les conséquences du budget 2020 sont encore plus graves pour la Sécu.

De ce fait, ce sont environ 11 Md d’€ qui vont manquer à la Sécu en 2020.

Privée de moyens et de son autonomie financière, la Sécu va de plus être amputée, démembrée.

La 4ème technique est la réforme des retraites

La réforme des retraites va réduire considérablement les retraites futures et insécuriser les vieillesses.

Il est une autre conséquence qui passe inaperçue actuellement, elle va démembrer la sécu, la priver de sa branche vieillesse. La réforme va en effet supprimer cette branche essentielle de la sécu et donner au gouvernement tout pouvoir sur l’évolution des retraites futures, y compris après départ en retraite et jusqu’à la mort.

Ici aussi c’est la suite des ordonnances Pompidou de 1967 qui divisa la Sécu en 4 branches. Le fait d’avoir accroché 4 branches au tronc permet à Macron de la massacrer branche par branche sans dire qu’il abat « L’arbre saint du Progrès » (Victor Hugo les châtiment)

La 5ème technique pour détruire la Sécu est la déconsidération, « le trou » de la Sécu

Le déficit de la Sécu n’est pas dû aux dépenses de la Sécu mais à la politique gouvernementale comme démontré ci-dessus. Pourtant il est présenté comme un « trou » signifiant que le déficit est constitutif de la Sécu, ce qui est employé pour la déconsidérer. Pourtant, grâce à la Sécu, chaque français, pour une protection de tous les habitants du pays, dépense deux fois moins qu’un américain pour une couverture limitée à 85% des habitants. Ceci est bien résumé par Macron lui-même : « Un pognon de dingue » !

Créé par l’État le « trou » est utilisé par Macron pour réduire encore les droits sociaux, les remboursements, le budget des hôpitaux…, mais aussi pour déconsidérer la Sécu et la solidarité dans l’opinion. « Un pognon de dingue » dira encore Macron.

Il est une protection qui n’avait pas été prévue par les fondateurs de la Sécu, c’est celle du chômage. Ici aussi, la suppression des cotisations d’assurance chômage en 2018 la remplacé la solidarité assurantielle par l’assistance étatique toujours menacée par les compressions budgétaires. On en a la traduction avec la réforme de cette nouvelle assurance chômage qui va plonger des millions de personnes dans la pauvreté. La logique est la même que pour tuer la Sécu : on réduit les recettes stables, puis on crie au déficit, puis on détruit la solidarité.

Auteur : Alexis Poulin
Source : site Le Monde Moderne
16 décembre 2019

Ce dont j’ai été témoin ces derniers mois est sidérant. J’ai vu le petit peuple, habitué à la résignation et à l’invisibilité, relever la tête et oser se montrer, en défilant dans les beaux quartiers de la capitale pour réclamer la justice sociale et la fin de l’obscénité d’un monde ou le gavage des ultra-riches est érigé en dogme, tandis que la masse silencieuse paie leur incurie par l’impôt.

J’ai vu un pouvoir démocratique tenté par l’autoritarisme, au point de mutiler sans compter ses citoyens libres, manifestants qui ont eu l’outrecuidance de vouloir protester contre une politique du néo-management public cynique et destructrice du bien commun.

Et le plus sidérant fut sans doute le silence radio des grands médias, pendant des semaines, n’osant pas montrer les violences policières et dénoncer ce qu’il convient d’appeler une dérive autoritaire et une instrumentalisation de la police de la République. Il a fallu le travail de recensement acharné du journaliste David Dufresne pour arriver à faire bouger les lignes, sans pour autant accélérer les enquêtes de l’IGPN sur les cas de violences des forces de l’ordre.

Pire encore, j’ai cru naïvement que cette débauche de violence d’Etat disqualifiait à jamais le locataire de l’Elysée dans son rôle de garant des institutions. Il n’en fut rien. Au silence médiatique, se substitua l’apathie, la riposte d’un pouvoir fantôme par le mensonge et le déni et l’acceptation de la masse silencieuse, certains justifiant la violence, d’autres l’acceptant sans broncher.

Tandis que le coup de poker de LREM ne tient qu’à un savant calcul basé sur l’abstention et le peu de votants, la majorité des français n’a pas désavoué Emmanuel Macron lors des élections européennes. Seul compte le résultat et la petite défaite de LREM derrière le RN fut maquillée en victoire, presque en plébiscite, autorisant le gouvernement a accélérer les réformes et continuer de maltraiter un pays au bord de la crise de nerf.

A la violence physique des LBD, des grenades et des matraques, s’additionna la violence des discours du mépris et de l’indécence. Ni le président, ni le Premier ministre, ni les ministres n’ont eu un mot d’excuses ou un regret pour les dérives constatées. De pardon, il n’y aura pas, ni pour les condamnés trop nombreux, ni pour les mutilés à vie, ni pour les morts.

Le mépris et le règne de la peur comme seules réponses à une crise sociale majeure, voilà le projet révolutionnaire d’Emmanuel Macron.

Rien de bon ne viendra de la suite de ce quinquennat, voué à la vente à la découpe des services et des biens publics et à l’application scolaire des théories fumeuses du néo management, rendant les citoyens acculturés et tout entiers occupés à se rendre le plus performant possible, par peur d’un système de déclassement instauré dès l’école primaire.

Nous vivons une période révolutionnaire, un changement d’époque où l’algorithme va remplacer la pensée humaine et où la gestion des chiffres se substitut à l’interaction des corps. Les gilets jaunes seront peut être analysés a posteriori comme le dernier sursaut d’humanité dans une France du futur gouvernée par les machines et les comptables de la dette.

Dès le début du mouvement, ces invisibles en colère ont été traités de tous les noms :  « poujadistes », « fascistes » et « antisémites », râleurs archaïques qui ne comprennent rien à la modernité que les télévangélistes du progrès leur vendent au quotidien, à coup de mensonge et de presse people. Ils étaient le grain de sable dans la belle machine néolibérale, broyeuse de destins et de temps libre.

L’instauration d’un monde de la lutte fratricide de tous contre tous par soucis de performance économique s’est trouvée confrontée à la masse inconsciente des oubliés, pire, des refuzniks, ceux-là pour qui la promesse d’avenir radieux équivaut sans détour à un déclassement sans retour.

Hélas, bien peu d’intellectuels, de journalistes ou de politiques ont choisi de tendre la main, où l’oreille pour comprendre ce mouvement, pour retranscrire à « ceux d’en haut » les courants profonds qu’une élite déconnectée est incapable d’appréhender.

Encore moins nombreux furent ceux qui osèrent soutenir la fronde légitime des oubliés.

La réponse des champions des premiers de cordée fut donc la violence de la répression alliée à l’entourloupe du faux dialogue. L’escroquerie était complète, Emmanuel Macron a sauvé sa peau en arrachant des yeux, en arrachant des mains, en brisant des carrières, en poussant la répression policière et paranoïaque à son paroxysme, envoyant en prison à tout va, intimidant les  réfractaires, utilisant le mensonge d’Etat comme une arme et la justice comme une menace politique.

Et cette stratégie de la violence a payé: les Français sont prêts à tout accepter, si on en croit les sondages. Voilà qu’un président isolé, sans réel parti, mis en scène par une oligarchie fatiguée de payer trop cher pour le bien commun, peut parachever une mascarade démocratique en une déviance autoritaire des institutions de la Ve République.

L’épisode de la Mongie, où, skieur souriant et insouciant, le président s’offrait une parenthèse enneigée, tandis que les Champs Élysées brûlaient aurait dû clore une fois pour toute l’imposture. Il n’en fut rien. Le soutien et la cohésion sont inébranlables pour le bloc des premiers de cordées, unis dans une course vers l’abîme, et désireux d’en finir avec l’idée démocratique, en soutenant leur champion à n’importe quel prix. Honte à ceux qui un jour se dirent socialistes et qui aujourd’hui, masqués derrière leur étiquette du parti présidentiel se rendent complices de toutes ces violences par leur silence.

Je suis pessimiste, où comme dirait Emmanuel Macron,  je suis sans doute un esprit chagrin, qui n’arrive pas à faire taire le cynique en moi. Nous manquons de veilleurs dans les temps sombres qui s’annoncent et rares sont ceux, qui ont choisi de tenir la lampe-tempête, malgré les invectives, les insultes, les moqueries ou les menaces.

Soutenir les gilets jaunes, ce n’est pas être un séditieux, un ennemi de la démocratie ou un fou. Soutenir les gilets jaunes c’est être conscient des inégalités et du mensonge oligarchique. Le pouvoir n’est plus celui de peuple, où des citoyens éduqués et éclairés, pourraient voter en connaissance de cause, après un débat démocratique animé par une presse libre. Non, le pouvoir est celui d’une ploutocratie, qui impose une pensée unique de l’efficacité économique et de la performance au service du profit. Tout ce qui pourrait faire débat doit être sorti du champ public ou décrédibilisé par tout moyen, soit par l’étiquette du complot ou l’infamie de la pensée fascisante. Résultat : le degré zéro de la politique sied à merveille aux promoteurs de l’idiocratie qui veulent divertir pour assurer le contrôle des esprits.

Les derniers bastions de lutte, l’école et l’université, vont se trouver confrontés à la volonté des managers de détruire toute proposition de pensée critique. Le rôle des professeurs n’est plus de former des esprits conscients de citoyens émancipés, mais de préparer des corps à devenir les outils le mieux adaptés aux demandes de la machine de production. L’enfer techniciste parachèvera le contrôle des flux, obligeant tout citoyen à se mettre nu devant l’algorithme et la surveillance panoptique.

Je rêvais d’un autre monde, et nous sommes nombreux, mais nos voix minuscules ne trouvent plus d’amplificateurs pour couvrir le bruit des machines. Dans le monde déshumanisé, seul restera d’humain les passions, les sentiments, l’amour et la colère.

Alors oui, Gilets jaunes, je vous aime.

Je vous aime parce que vous avez su dire non, parce que vous avez réinventé la solidarité et occupé les espaces laissés vides par la planification, parce que vous êtes les emmerdeurs, les empêcheurs de tourner en rond, parce que votre révolte est joyeuse, parce que vous n’êtes pas dupes, parce que malgré la violence, vous êtes restés debout. Je vous aime parce que les falsificateurs vous haïssent, parce que votre sincérité les désarme. Je vous aime, parce que sans vous, ce pays se perdra dans une mondialisation conformiste, où le bien être des populations sera le prétexte à l’avènement d’une société du contrôle. Je vous aime, parce que vous n’oubliez pas d’où vous venez, et que l’avenir compte pour vous, comme pour vos enfants.

Et comme vous, je suis en colère.

Cette colère ne partira pas, même si les gilets retourneront dans les boites à gants des voitures. Le souffle de la fronde contre le monde qui vient ne fera que prendre de l’ampleur, malgré les mensonges des puissants, malgré leurs stratégies d’intimidation et de contrôle. Tant qu’il y aura des injustices, il y aura des gilets jaunes.

Il convient maintenant de trouver les leviers d’une reprise de contrôle du système démocratique par le peuple. Après l’épisode de la colère et de la confrontation de David contre Goliath, la stratégie doit venir d’une organisation hors des partis et capable de rassembler tous les résignés du vote et les volontaires humanistes.

David Graeber, ethnologue américain et pionnier d’Occupy Wall Street a théorisé la période que nous vivons comme une période révolutionnaire, c’est à dire le moment où les élites sont incapables de prévoir et de comprendre les peuples. Nous y sommes. Mais la maîtrise du marketing combinée au contrôle des outils du consentement assure un sursis à l’élite, même si le roi est nu, même si le système tourne à vide sur un champ de ruines.

Le livre d’Emmanuel Macron s’intitulait « Révolution » et ne parlait que de lui, le livre que les Français vont écrire s’appellera « Résistance » et ne parlera que de nous. Ce « nous » est à inventer, dans un élan de vie et un refus du mur construit par les héros de la bienveillance totalitaire, les ectoplasmes prêts à se vendre à la machine et les opportunistes amoureux du profit de court terme et de la médaille.

Ce qui m’a le plus marqué dans les mobilisations des derniers mois fut sans doute la volonté farouche de ces Français qui pensaient d’abord aux autres, à leurs enfants, à leur avenir, et qui cherchaient désespérément la solidarité dans un monde ou le bien-être collectif a disparu derrière les lobbyes et les intérêts de quelques privilégiés.

D’une élection à l’autre, la marche des manipulateurs semble inéluctable, et pourtant une autre issue est possible. Mobiliser les invisibles, les rassembler, malgré la censure des plateformes et des réseaux sociaux, malgré l’Etat policier, malgré la résignation et malgré l’ampleur de la tâche. Voilà ce qu’il est possible de faire. Et où mieux qu’ailleurs, en France ?

J’ai dit plus haut que j’étais pessimiste, cédant sans doute à une bouffée de lassitude et de résignation, mais je reste un optimiste sur la capacité des citoyens français à reconnaître la justice et à faire battre le drapeau de l’égalité, de la liberté et de la fraternité contre toutes les tentatives de soumission et de ruine.

À un monde meilleur. À la liberté. Pour que cesse le règne de la violence.

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