Par Jean-Charles Aknin

Au pays merveilleux de l'abstention


Il était une fois un grand royaume où l'on élisait son roi.
Mais jamais celui-ci ne convenait et, las, les sujets décidèrent de ne plus choisir.
Alors un jour, tous les gentils Gilets Jaunes s'abstinrent
Et puis tous les révolutionnaires tirèrent leur révérence,
Et puis aussi tous les libertaires et les communards écoeurés,
Les socialos épuisés, les écologistes essouflés,
Les syndicalistes à court de CGDTCFOFAFUDNSAlphabet,
Les réactionnaires de droite et les vieux soixante-huitards,
Les patriotes, la mort dans l'âme, et les no-borders, tournés vers le large,
Les immigrés et leur famille désillusionnés,
Paysans à l'agonie et banlieusards bannis...,
Au pays merveilleux de l'abstention, le royaume entier déserta les urnes.
Le Grand Renoncement allait sonner l'heure du Grand Cri :
"Y'en a marre !!!" et tous tapèrent du pied, tous ensemble. Vlan !!!

 

Mais les gens de palais et courtisans
Ne manquèrent pas l'occasion de satisfaire leur seigneur.
S'empressèrent alors, auprès des autels démocratiques,
Les lutins parlementaires cravatés,
Les elfes voyageurs-traders, et les vampires argentiers,
Les korrigans bureaucrates, et les léprechauns ultralibéraux,
Les Kraken pollueurs, et les affameurs de continent ventripotents,
Les gargouilles légitimi- légalistes vomisseuses de normes et d'interdits,
Les cols-blancs sanctifiés de Notre-Dame des fraudes,
Les rats de ministères ratiocineurs, et les vertueux DRH, zélés nettoyeurs,
Les jésuites de la télé, et les machiavels de la com',
Les intellos confis d'eux-mêmes, et les narcisses en-scénés,
Sans oublier les grands amnésiques endormis,
Inconscients et grégaires,
Haineux de ceux qu'ils regardent d'en haut,
Alors que déjà dans la seringue, le piston jadis sauveur,
les pousse imperceptiblement vers les fanges.
Ainsi, tous les atones de la conscience et de l'honneur
s'en allèrent en rang, disciplinés et conditionnés, aux urnes.

 

Enfin, au pays merveilleux de l'abstention,
Vint le jour du "Grand Dépouillement".
Les résultats furent proclamés,
A grand renfort de trompettes et d'introduction à la gloire.
90% d'abstention ! La victoire des "Boycotteux Libres" éclatait enfin !
Les tronqués du bulletin, dans un grand élan solidaire,
Se virent accordée la permission d'asséner
Quelques déclarations définitives dans des micros en carton,

Tandis que d'autres défilèrent jusqu'au milieu de la nuit,
Dérangeant un peu les chats et les soumis.

Dans la foulée, le roi piteux fut alors à nouveau adoubé
dans les règles et sous les ors de la Royalepublique.
Plus tard, il rentra dans son palais, triste, à peine honteux,
Le sourire aux lèvres, avec son score,
Malgré tout jugé honorable, unanimement.
100% des votes exprimés, ce n'est pas si mal...

 

Ce soir là, à l'Elysée, ils se marrèrent et eurent beaucoup d'argent.

 

La morale de cette histoire est que tout abstentionniste
Vit au dépend de celui qui ramasse la mise.
Le vote blanc l'aurait sauvé, sans doute,
Mais d'ici à ce que le blanc, le pâle et le transparent soient reconnus,
Le boycotteur, honteux et confus,
Pourra jurer - TuDieu! -, mais se fera toujours bouffer tout cru.