Combien de jours, combien de semaines, de mois, d'années des salariés peuvent-ils supporter de n'être pas entendus ?
Question tout aussi légitime qu'angoissante.
Beaucoup s'en remettent aux syndicats pour trouver des réponses, des solutions, des sorties de crises. Mais rien ne vient... depuis longtemps.
De quels succès fracassants (et récents) peuvent s'enorgueillir ces organisations ? De ce côté là, c'est le désert, un désert qui semble s'être assécher définitivement. Les derniers satisfécits remontent, à la louche, aux années 80/90 (semaine des 35h, quelques coups de pouces au SMIC, réévaluation du point d'indice...). Depuis le recul du Plan Juppé en 1995, on n'enregistre quasiment aucune réelle victoire de la part d'un mouvement social initié par les syndicats.
N'y a-t-il donc aucun penseur, aucun intellectuel, aucun stratège au sein des directions nationales pour s'en rendre compte ? Malgré le recul continue du nombre de leurs "adhérents" ceux-là ne se posent apparemment toujours pas les bonnes questions. A se demander s'ils veulent vraiment le faire.
Objectivement, non. Ils préfèrent rester sous perfusion budgétaire de l'état plutôt que de s'atteler à ce pour quoi ils sont faits. Ainsi un jeu de rôle s'est installé et ce jeu de rôle consiste à ce que les syndicats fassent semblant. Semblant de gesticuler, de revendiquer. Ils lancent parfois une manif' sur une journée (ils appellent ça une journée d'action), parfois une action symbolique, un rassemblement... Quand il s'agit de grève illimitée, elle ne concernera qu'un secteur, une branche, une profession... Tout en prenant soin que ces "opérations" ne bloquent que très relativement la vie économique du pays. Et en bout de chaîne, les salariés perdent leurs journées de salaire - qui représentent parfois même une économie substantielle pour les patrons sensés être lésés -.
Les syndicats pratiquent les grèves perlées, se refusent à entrer en intersyndicale, et se gardent bien de prononcer le mot tabou (qu'on doit leur interdire ?) : grève générale. De plus, en l'état de notre démocratie, le gouvernement, qui n'en est plus à une entorse près aux principes constitutionnels et aux droits fondamentaux, ne se priverait pas, si la menace d'une grève générale se voyait à nouveau brandie, de nous pondre un cadre "légal" pour en limiter les effets, ou même pour l'interdire purement et simplement (voir les dispositions Sarkozy sur les réquisitions légales en cas de grève des transports, voir aussi les réquisitions dans le milieux hospitaliers, ou l'interdiction faite aux routiers d'organiser des barrages sous peine d'amende - 30 000€ -, d'emprisonnement - 2 ans - et de 3 ans de suspension du permis pour entrave ou gêne à la circulation)
Ainsi les salaires baissent, l'âge de la retraite recul, les prix grimpent, les couvertures sociales s'effilochent, les médicaments sont déremboursés, les mutuelles se gavent, les impôts augmentent, l'éducation, la justice, la santé partent à la dérive... Tout va bien dans le meilleur des mondes... patronal. Le jeu de rôle syndicats/gouvernement semble installer pour durer et les salariés vont devoir se faire une raison. Ils sont seuls.
A l'occasion du mouvement des Gilets Jaunes, nous avons tous pu encore nous en rendre compte. Aucun syndicat n'a manifesté la moindre velléité de soutien envers ceux qui étaient descendus dans la rue. On a juste pu enregistrer quelques gesticulations vite avortées comme la menace d'une grève des routiers annoncée pendant 2 jours (début Décembre 2018) avant d'être suspendue (suite à négociations). Les syndicats de forces de l'ordre ont agi de même. Et chacun s'est retiré après avoir obtenu quelques miettes, profitant éhontément du mouvement jaune.
Ces tristes anecdotes démontrent le point de duplicité extrême auquel sont parvenus les "partenaires sociaux", plus précisément les "directions nationales" auxquelles s'adressent spécifiquement ces ressentiments. Les salariés sont seuls, les Gilets Jaunes sont seuls, les citoyens sont seuls. En fait, "seuls" n'est pas le bon mot. Ils ne sont plus soutenus par aucune espèce d'instance collective constituée. Ils ne peuvent donc plus compter que sur eux-mêmes et créer leur propre collectif.
En 7 mois, si le mouvement des Gilets Jaunes n'a pas obtenu grand chose, les syndicats (les directions nationales), eux, ont perdu le peu qui leur restait de crédibilité. On ne va pas pleurer sur leur sort, mais nous aurions bien eu besoin de leur statut (capacité -privilège- de déclarer une grève) pour avoir la possibilité de mobiliser en dehors des samedis et pour qu'ils relaient nos revendications via leurs tribunes.
Quand la plèbe n'est pas unie, les puissants dansent.
La convergence des luttes peut attendre... Jusqu'à quand ? A suivre....
Jean-Charles Aknin