Soyons clair.
Aucune solution médiane avec le pouvoir en place et son système n’apportera de réponses aux revendications de justice sociale, fiscale et environnementale des Gilets Jaunes. Les revendications autour d’un meilleur contrôle citoyen sont encore moins susceptibles d’être entendues.
Le peuple a revendiqué ; Le pouvoir a ignoré.
Par rigueur intellectuelle, avant de poursuivre, posons la question : Sommes-nous, Gilets Jaunes, le peuple en son entier ? Sommes-nous légitimes ?
- Le soutien majoritaire affiché par le pays, de l'aveu même des organismes de sondage détenus par le pouvoir,
- Le désarroi social d'une part désormais trop grande de la population qui fait nécessité absolue,
- L'incontestable incurie du système financier mondialisé qui affame, précarise les Hommes et détruit la planète,
- La multiplication et la constance des mouvements citoyens de même nature : les Indignés, Nuit Debout, Occupy Wall Street, les collectifs écologistes, ...
- L'évidence selon laquelle les fictions dystopiques tels 1984, Le Meilleur des Mondes, les scénarii à la Black Mirror, etc... sont en train de se réaliser
- La prise de conscience du recul constant de nos libertés fondamentales : altération et fin du droit de manifester, unicité de la presse, noyautage des réseaux sociaux, surveillance du Net, reconnaissance faciale, fichage informatique et croisement des données, Big Data, disparition de l'argent liquide, obligation de compte en banque, pistage par les portables, scan en masse des plaques d'immatriculation, bientôt puçage par RFID...
constituent une réponse positive à cette question.
Ainsi donc, le peuple a revendiqué ; Le pouvoir a ignoré.
En conséquence, face à ces impasses, le mouvement des Gilets Jaunes a évolué.
Si beaucoup d'entre nous l'envisageaient dès le départ, ceux qui s'étaient mobilisés avec l'espoir d'obtenir une réponse à leur revendications doivent maintenant se rendre à l'évidence. L'objectif du mouvement passe par une révolution politique.
Mais il n’y a pas de méthode pour refaire le monde. Personne ne l’enseigne à l’école. Les recettes, si elles existent, ne sont pas au programme.
Les manuels d’insurrection ne courent pas non plus les rues, tout autant que les extrémistes intellos ou commandos qui pourraient montrer la voie.
Pour faire la révolution, il faut s’en remettre aux exemples du passé… qui généralement relèvent d’un contexte bien différent de l’époque que l’on veut faire basculer.
Alors on fait avec les moyens du bord, avec ses tripes et sa jugeote, avec « sa bite et son couteau » et, très souvent, à moins d’être le sage à barbe blanche rompu - on ne sait comment - aux entourloupes du pouvoir, on se retrouve, tous autant que nous sommes, le nez dans le guidon bien plus souvent qu’à notre tour.
Game Of Jaunes
Pour commencer - ce qui suit peut paraître évident mais il est mieux de le dire - il y a globalement 3 façons de « renverser la table » :
- - La force, la rue, l’insurrection (révolte)
- - Agir en marge du système que l’on veut combattre, et créer à côté de lui un système alternatif (contre-culture)
- - Entrer dans le système, participer de sa hiérarchie et prendre le pouvoir (infiltration)
On peut penser au putsch militaire et au retournement de la caste médiatique mais restons sur les options qui dépendent uniquement des GJ.
Voilà donc les 3 axes possibles pour poursuivre le mouvement.
Mais si l’on n’accepte pas d’intégrer à égale estime ces 3 axes dans nos perspectives, il se produira un écrémage parmi les Gilets Jaunes et sympathisants.
On se souvient tous des scènes où, après avoir scandé « tous ensemble », « rejoignez-nous », « solidarité », « fraternité »… des gilets jaunes s’en prenaient à des syndicalistes, des verts pour le climat, des politisés en les chassant des cortèges. Au lieu d’accueillir, de côtoyer, de fraterniser, beaucoup ont choisi d’exclure comme si les sigles CGT, LFI ou RN étaient contagieux.
L’identité GJ est suffisamment forte pour ne plus craindre une quelconque récupération. L’intransigeance ne doit pas être Sectarisme et la Pureté (jaune) ne doit pas justifier l’Exclusion.
Sur la base des mêmes instincts, après avoir rejeté la convergence des luttes, il est à craindre d’autres « excommunications », mais cette fois-ci endogènes : certains se diront « combattants », d’autres « pacifistes » ou encore « entristes » et se défieront mutuellement.
- Certains ne verront de solution qu’à travers l’option insurrectionnelle, et rejetteront catégoriquement tout autre compromis.
- D’autres réagiront en privilégiant le pacifisme et la non violence rejetant avec autant de vigueur les « va-t-en guerre » ou les traîtres politicards roulant pour leur pomme.
- Enfin les « entristes » considéreront que jouer le jeu politique est la seule solution pour parvenir à l’avènement de la révolution jaune, impossible à réaliser par la violence, ou trop hypothétique et utopique via les lents développements de la contre culture.
Chacun croisera - et croise déjà - le fer avec les tenants des options qui ne sont pas les leurs, à force d’intransigeance, de recherche de pureté jaune ou de certitudes pragmatiques.
Ces guerres de clocher nous affaiblissent, puériles et sans aucune mesure avec l'enjeu. Admettons que chacune de ces méthodes est respectable. D’aucuns diront qu’elles sont complémentaires.
Gilets is coming
Au stade de notre mouvement GJ, et au vu de la répression, la première méthode, si elle a représenté une perspective viable de Novembre 2018 à Février/Mars 2019, n’est hélas plus une option accessible. … Une surprise est toujours à espérer et un regain toujours possible.
En attendant que partie soit remise, le modèle de contre culture (qui se décline actuellement, entre autre, sous l’acception d’Economie Sociale et Solidaire - ESS) est séduisant et, quand on en parle, trouve le plus souvent grâce aux yeux des GJ. Pour autant, son rayonnement, bien qu’en perpétuel essor, est loin de pouvoir intégrer la majorité de la population. Il sous entend retour à la terre, modification profonde des modes de vie, remise en cause totale du modèle citadin majoritaire.
A l’appui de cette inclinaison, certains théoriciens de l’acte révolutionnaire déclarent qu’« il est impossible de se dire révolutionnaire sans être révolutionnaire, c'est-à-dire sans changer de vie. » (Jacques Ellul). A méditer donc à l’aune de sa propre énergie, de son radicalisme et de son désarroi social.
Parlons enfin de l’option « infiltration ».
Puisqu’il faut de tout pour « refaire un monde », il nous faudra sans doute des infiltrés.
Les municipales sont pour l’an prochain et beaucoup pensent s’engager dans cette voie.
Il s’agit donc là d’envisager une action dans le champ politique (voir « mouvement municipaliste » et l’expérience de la Commune de Saillans).
Il y a fort à parier que les abstentionnistes - non pas ceux qui s’abstiennent par dépit mais ceux qui se sont retirés volontairement du jeu électoral en prônant le boycott - n’adhéreront pas à ce chapitre.
Mais, comme indiqué plus haut, les méthodes sont toutes respectables et, dans une certaine mesure, complémentaires.
La tête du Canard
L’objet de cet exposé susciterait des commentaires à n’en plus finir (pour preuves les milliers de polémiques présentes dans nos forums). L’aparté ci-dessus sur les tenants du boycott en est un exemple.
Un autre aparté peut concerner la propension que nous avons de couper toute tête dès lors qu’elle dépasse un peu trop. Cette allergie à tout leader a fait notre force (en particulier lors des premiers actes) mais elle devient un frein quand il s’agit de s’organiser.
Quel que soit notre parcours ou nos choix quant au mode d’action à mener, nous avons tous vu comment les choses se passaient.
Que ce soit pour une action terrain, un choix de stratégie, ou la rédaction d’un document, même si le choix définitif est répercuté à travers un processus démocratique, le débat préalable donne lieu à des échanges d’idées, des controverses portés par des individualités, pas par un invisible esprit collectif mais par des gens les uns à côté des autres. Et de fait le processus démocratique valide la thèse d’une ou plusieurs de ces individualités… et lorsqu’une de ces individualités hérite régulièrement de ce genre de validation, elle devient quelqu’un qu’on écoute.
C’est naturel et ce n’est pas grave ! Dès lors que l’assentiment envers cette personne n’est pas acquis systématiquement et que le processus démocratique persiste.
Pour dire la chose simplement :
« Si quelqu'un a régulièrement de bonnes idées, qu'elles sont régulièrement adoptées par une majorité, il n’est pas gênant de considérer que cette personne est un(e) leader. ... Jusqu'à ce que, sans que cela soit souhaitable, elle dise 2 ou 3 conneries (articulation révocatoire). » (on peut biffer et remplacer le mot « leader » par tout autre mot plus plaisant ou mois choquant mais le résultat sera le même)
L’Avant et l’Après
Nous ne devons pas perdre de vue ce que l’on fait quand on parle de stratégie, de moyen de parvenir à instaurer une société plus juste… et ce que l’on fait lorsque l’on parle de RIC et que l’on rédige une constitution.
Ecrire un RIC ou rédiger une constitution ne permet pas d’arriver au pouvoir. Ce faisant nous imaginons effectivement un monde meilleur, mais concrètement nous n’agissons pas directement pour son avènement.
Il est effectivement nécessaire de penser à l’étape d’Après ; c’est indispensable. Cela alimente nos convictions et tend à convaincre les « autres » mais ce n’est pas à proprement parler un acte direct qui participe de la prise de pouvoir.
En fait, il y a objectif et moyens d’y parvenir.
En fait, il y a deux moments différents :
- Avant la victoire des gilets jaunes et
- Après cette victoire.
Las, on constate parfois qu’il y a confusion entre ces 2 temps.
Par exemple, untel objectera qu’il faudra prendre d’assaut les banques pour les nationaliser. Non, puisque dès lors que nous aurons la barre du pouvoir légitime, nul assaut ne sera plus nécessaire puisque le peuple aura recouvré la légitimité et le pouvoir de le faire... ou pas.
A l’inverse, comme suggéré plus haut, certains finissent par croire que leur assiduité aux ateliers constituants ou RIC et que la finalisation d’un document parfait mettront à bas le pouvoir. Elles seront peut-être la clé de la victoire mais pas l'arme du basculement.
Il est effectivement plaisant de rêver d’un monde meilleur, et même d’y rêver à plusieurs, mais il est bon aussi de se demander si l’énergie dispensée pour l’édification de ce rêve n’obère pas l’énergie nécessaire à la conquête du territoire dans lequel on veut qu’il s’épanouisse.
Constitution n’est pas Programme
S’il appartient à chacun d’avoir ses opinions politiques, le mouvement des gilets jaunes est un mouvement de citoyens mobilisés et réunis autour d’une commune aspiration à plus de justice sociale, fiscale et environnementale et plus de contrôle citoyen. Il est dit qu’il est apolitique et apartisan.
En conséquence, s’il paraît exclu de compter parmi nous des ultralibéraux, traders carnassiers ou autres gros actionnaires du CAC 40, le mouvement des GJ recoupe, peu ou prou par sa composition, l’éventail du peuple français avec la diversité de ses opinions politiques.
Ores, au détour de quelques ateliers constituants et lectures de RIC, on voit parfois émerger des gestes partisans qui ferment le champ de cette diversité politique qui fait l’honneur d’une démocratie digne de ce nom.
D’autre part, une constitution doit s’écrire pour tout français et pas uniquement à l’aune des seules visions "gilets jaunes".
Une constitution est un canevas où se conjuguent les injonctions morales de l’époque et les nécessités de la chose commune.
Elle n’est ni bréviaire moral, ni catalogue de lois, et encore moins programme politique,
mais elle trace une sorte de ligne de flottaison en deçà de laquelle le droit perdrait sa rigueur morale et la morale outrepasserait les limites de la nécessité de la chose commune.
Pour filer la comparaison avec, par exemple, une association pour laquelle il est difficile de séparer ce qui relève des statuts de ce qui relève du règlement intérieur, la Constitution figure les statuts (loi fondamentale) et les Lois, le règlement intérieur.
La critique est aisée, l'art est difficile... quoi qu'il en soit le péril est trop grand pour ne pas avoir les idées claires.
Laissons de côté nos credos politiques, sociétaux ou religieux qui nous affaiblissent.
Agissons, combattons ensemble, quitte à renouer avec nos oppositions une fois la révolution politique advenue, une fois l'ordre démocratique réel rénové, une fois les tensions entretenues par la bête ultralibérale réduites.
Ne dit-on pas que les extrêmes se rejoignent ? Alors encerclons-les !
Jean-Charles Aknin