Source : Commun COMMUNE [le blog d'El Diablo]
Jacques Sapir nous livre là, tout en reconnaissant la pertinence de la posture abstentionniste, une analyse éclairée de la situation actuelle qui argue d'un regard pragmatique sur le timing des combats à mener. Pour résumer, les temps sont à l'identification des priorités. La stratégie avant les tactiques, la mesure des risques avant la satisfaction de partis militants et parfois de postures personnelles. L'abstention est une question d'esthétique politique quand le risque macronnien met en cause la survie du pays.
A lire d'urgence...
1- Les élections européennes vont se tenir après plus de 5 mois d’un mouvement social sans précédent, qui n’est comparable en ampleur et en signification qu’à celui de mai 1968. Ce mouvement a été aussi marqué par l’ampleur et la violence d’une répression de masse, marquée par des dizaines de blessés graves et des morts, mais aussi par des abus de pouvoir multiples en ce qui concerne la justice. Il laisse une fracture béante entre les dirigeants et les dirigés, entre les classes possédantes dont ce mouvement a fait éclater le vernis et a révéler l’ampleur du mépris et de la haine de classe et les classes populaires. Ce mouvement a provoqué les premières fissures notables au sein du bloc au pouvoir. Il a mis en échec l’ordre du jour d’Emmanuel Macron et de son gouvernement. Ces derniers peinent aujourd’hui à se relancer. Pourtant, ils n’ont pas abandonnés leurs projets de destruction de l’ensemble des institutions sociales de la France, telles qu’elles avaient pu être construites après 1945. De même n’ont-ils pas abandonné les projets de refonte des institutions qui accélèreront encore plus la dérive anti-démocratique de ce dit pouvoir. |
2- Les élections européennes sont donc importantes, parce qu’elles s’inscrivent dans ce contexte particulier. Leur importance ne provient pas des pouvoirs, fort limités par ailleurs, des députés au parlement européen. Leur importance n’est nullement dictée par la possibilité, largement illusoire, d’infléchir une Union européenne dont on sait que les mécanismes politiques sont largement verrouillés et ne pourront être affectés par les nouveaux élus, quand bien même ces derniers auraient une majorité au parlement. L’idée d’un changement progressif de l’Union européenne est un leurre. Seules des mesures unilatérales, confrontant les autres pays au risque d’un éclatement complet de l’Union, sont susceptibles de provoquer une quelconque changement.
Le contexte décisif est donc français, et ce quel que soient les volontés, bonnes ou mauvaises, concernant l’Union européenne.
3- Les enjeux de ces élections sont importants. Politiquement, elles peuvent décider de l’enracinement où non du parti du Président. Que la liste LAREM-Renaissance fasse un score de plus de 23%-24% et le parti du Président sera en bonne posture pour les élections municipales de l’an prochain qui seront décisives pour l’enracinement local de cette formation. Symboliquement, le pouvoir n’hésitera pas à utiliser un possible succès, même fort limité, dans ces élections pour prétendre qu’il a été re-légitimé par les citoyens.Symboliquement, encore, il espère user d’un tel hypothétique succès pour refermer ce qu’il appelle la « parenthèse » du mouvement des Gilets Jaunes.
Même si cela est profondément illusoire, même si un mouvement d’une telle ampleur ne sera pas conduit au tombeau par un vote, tactiquement les effets d’un succès de la liste LAREM-Renaissance pourraient retarder des plusieurs mois, voire de plusieurs années, les effets du mouvement social. C’est pourquoi l’enjeu de ces élections est important, et dépasse de très loin le discours tenu par les « européistes ».
Libérés de la crainte du mouvement, Emmanuel Macron et le gouvernement pourraient chercher à repartir de l’avant vers de nouvelles démolitions du cadre social et démocratique du pays. Au contraire, un échec les ramènerait à la réalité et accélèrerait les ferments de décomposition que l’on sent aujourd’hui au sein de ce que l’on appelle le « bloc bourgeois ».
4- C’est pourquoi l’abstention, qui autrement pourrait être un choix parfaitement envisageable dans ces élections n’est plus aujourd’hui se saison. Toutes les voix doivent se porter contre la liste LAREM-Renaissance, mais aussi contre ses alliés de fait qui n’agitent leurs « divergences » que pour masquer leurs profondes convergences envers ce pouvoir, les listes EELV et PS-Place publique.
En fonction de la sensibilité politique de chacun, le choix pourra être différent. Mais il doit se porter sur des listes dont l’opposition au pouvoir et à ses alliés ne fait aucun doute. Il importe donc que chacun aille voter pour ramener le score de ces trois listes, LAREM-Renaissance, EELV et PS-Place publique au niveau le plus faible possible.
5- Il ne faut pas se masquer la réalité. Le camp souverainiste affronte ces élections dans une situation difficile, marquée par une fragmentation extrême, mais aussi par des attitudes ambigües qui instillent le doute dans l’esprit d’un grand nombre et qui démobilisent les volontés. Il ne s’agit pas ici de s’ériger en censeur des uns ou des autres mais de constater que le mélange de choix tactiques à courte vue, d’absence de sens politique, de groupuscularisme et de sectarisme a abouti à cette fragmentation.
Devant une telle situation, aucune consigne précise de vote ne saurait avoir de sens. Au plus, peut-on conseiller de ne pas disperser ses voix sur des choix ultra-minoritaires et, selon encore une fois les sensibilités politiques de chacun, de se concentrer sur les listes qui ont une chance réelle de passer la barre des 5%.
6- Il faut néanmoins commencer à penser l’après élections européennes. La fragmentation nous affaiblit et nous divise. La volonté de certains de prétendre s’approprier le souverainisme est un infantilisme stupide. Elle contribue à la fragmentation actuelle. Le souverainisme n’est la propriété de personne ; il n’est pas non plus le fondement d’un parti car la souveraineté ne saurait être qu’un moyen pour atteindre des fins autres. Mais, le souverainisme est aujourd’hui, parce que la France, et donc le peuple, a connu une perte grandissante de sa souveraineté, est devenue le jouet de puissances étrangères, un impératif absolu. C’est pourquoi, un front des partis et des mouvements qui reconnaissent cet impératif, que ce front aboutisse à des accords explicites ou qu’il se contente d’un pacte de non-agression, s’imposera dans le futur. Le combat pour redonner au peuple sa souveraineté ne peut se mener sans les combats pour les droits économiques, sociaux, démocratiques et écologiques du peuple. Mais ces combats sont et seront vains s’ils ne prennent pas la forme d’un combat commun pour la souveraineté, base de la démocratie.