Sur l'air de la chanson de Michel Fugain, Les Gentils, les Méchants, la chanteuse Marguerite nous fait le plaisir de détourner les paroles du célèbre maestro du Big Bazar. Pour la suivre, rendez vous sur le site de la très gentille ET très méchante Marguerite.
Le texte, empreint d'une ironie légère - légèreté en parfaite adéquation avec la musique -, est digne (vous en jugerez) du discours des gilets jaunes, mais, au-delà d'un bel esprit, il ne faudrait pas manquer le clin d'oeil malicieux et critique que décoche ce remake au moyen de cet hymne soixante-huitard. Parce que, volontairement ou pas, toute la portée de ce pastiche est dans la référence à mai 68, à l'époque bienheureuse des baba cools. Tout guilleret que ce clip semble être, la juxtaposition des deux époques nous montre le fossé qui s'est creusé entre d'un côté les manifestants bourgeois de 68, ceux qui ont aussi laissé à leur infortune les bleusarts de la France des années 60 une fois leur "révolution" accomplie, et de l'autre les gilets jaunes, fils et filles de ces mêmes bleusarts, mais aussi fils et filles de la plupart de ces petits bourgeois déchus.
Aujourd'hui, les petits bourgeois ont en effet rejoint les ouvriers et les paysans, les petits commerçants et les fonctionnaires, les chefs de PME jusqu'aux petits rentiers. L'époque est révolue où beaucoup pouvaient encore espérer garder la tête hors de l'eau. A force d'avidité et de morgue, les "dominants" ont si bien clairsemé leurs rangs, se sont si férocement bouffés entre eux, se sont si parfaitement isolés qu'ils ont recréé la France des rois et de la noblesse. Mais "en même temps", est de retour le tiers-état qui, par le passé, avait choisi la colère de la rue et des campagnes. Pour suivre le fil de cette comparaison, acceptez de remplacer ce qu'était le clergé de 1789 par les médias d'aujourd'hui (on y reconnaîtra les jésuites et les dominicains actuels).
Pour revenir à 68 et à la reprise malicieuse de Marguerite, soulignons l'hostilité démesurée des Daniel Cohn-Bendit, Romain Goupil et autres Bernard-Henri Levy, égéries de la dite révolte qui, se faisant, tombent le masque de leur duplicité. A l'époque, ils avaient renoncé à leurs ambitions de justice sociale préférant voir advenir la société de plaisir et de consommation taillée à la mesure de l'individualisme qu'ils avaient chevillés au ventre.
Pour illustrer cette forfaiture, voici un extrait du livre de M. Houellebecq, Particules élémentaires. Sans adhérer à toutes ses thèses, ni remettre en cause aussi catégoriquement les acquis de mai 68, la démarche intellectuelle vaut d'être citée ici :
Il est piquant de constater que cette libération sexuelle a parfois été présentée sous la forme d'un rêve communautaire, alors qu'elle était en réalité un nouveau stade dans la montée de l'individualisme. Comme l'indique le beau mot «ménage», le couple et la famille représentaient le dernier îlot de communisme primitif au sein de la société libérale. La libération sexuelle eut pour effet la destruction de ces derniers, les derniers à séparer l'individu du marché. Ce processus de destruction se poursuit de nos jours... (M. Houellebecq - Les particules élémentaires p 116) De l'individualisme naissent la liberté, la sensation du moi, le besoin de se distinguer et d'être supérieur aux autres. (M. Houellebecq - Les particules élémentaires p 160)
Etait-ce là l'intention consciente du jeune Daniel Cohn-Bendit ? On peut en douter mais par cette sorte de passe-passe paradoxal et ironique si récurrent dans l'histoire, il ne faut être conscient que c'est en utilisant les forces collectivistes que certains ont pu promotionner l'individualisme, que c'est aussi en poussant à l'extrême les fantasmes communautaires, en morcelant, que l'ultralibéralisme advient, que c'est aujourd'hui en rêvant de grande fédération européenne qu'on supprime les départements, réduit les communes, éclate les territoires en régions autonomes et qu'on fait disparaître les nations et à la fin les pays...
Les rêves de solutions grandioses et absolues, comme l'enfer, sont pavés de bonnes intentions... à ne plus savoir qui sont les gentils, qui sont les méchants. Peut-être qu'en définitive les gentils et les méchants se font face comme la naïveté et le cynisme, l''inconscience et la lucidité ? Qui sont les gentils, qui sont les méchants ? Changent-ils d'habits au gré des circonstances ? Savent-ils au moins ce qu'ils font ? Les paroles du pastiche de Marguerite renversent très opportunément la distribution intuitive des rôles. A n'en pas douter un trait d'esprit qui va loin...
Jean-Charles Aknin