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Les privatisations apparaissent de plus en plus pour ce qu’elles sont : l’accaparement généralisé des richesses mondiales (biens et individus). Cette mise sous tutelle (jusqu’au brevetage du vivant) digne des pires cauchemars futuristes n’est plus à traiter uniquement sous le biais de la simple analyse rationnelle et économique. Elle relève aussi de la psychanalyse, une méta psychanalyse.

Les Communs

Privatisation sous-entend changement de statut d’une entreprise qui auparavant était nationale.
Nationalisation, à l’inverse, sous-entend qu’auparavant l’entreprise était privée.
Comme si ces deux états statutaires étaient voués à se succéder comme par exemple les alternances droite/gauche. Mais il n’en est rien.

Les privatisations auxquelles nous assistons sont une fin de processus, amorcé notoirement en 1986, qui redistribue aux intérêts privés les dernières scories des entreprises nationales et s’attellent désormais à privatiser jusqu’aux services publics. Ne nous y trompons pas, elles sont censées être définitives sauf à assister à un changement profond de paradigme politique et économique.

Tout cela nous est présenté dans la plupart des médias et par les politiciens affidés à l’ultralibéralisme comme un mouvement naturel, quasi darwinien. Mais une plongée dans l’histoire nous raconte le contraire.

Les ancêtres de nos entreprises nationales étaient appelés Communs. Ce terme est toujours utilisé dans les cursus de sociologie et d’économie mais semble avoir disparu du vocabulaire sous la pression idéologique ambiante.

Cette disparition en dit long sur la puissance du secteur privé dont les appétits se reportent désormais sur des domaines dont on n’aurait jamais imaginé qu’ils puissent être administrés et exploités par des intérêts privés.

Dans la ligne de mire, les entreprises nationales stratégiques (grosses productions industrielles), puis vitales (énergie, eau), territoriales (autoroutes), jusqu’aux services publics (poste, téléphonie, banques, …). On offre aujourd’hui aux intérêts privés les aéroports, les forêts domaniales, les barrages hydroélectriques, les hôpitaux, les musées, ...

Il est temps d’exhumer la notion de Communs qui figura le canevas économique et sociétal dans lequel la France et son Etat se sont construits depuis les débuts de son histoire.

 

Court historique des Communs

Les Communs sont des ressources partagées, administrées, et exploitées collectivement par une communauté.

Une remontée dans l’histoire, nous laisse imaginer assez facilement des communautés humaines originelles contraintes de s’unir pour survivre et, de ce fait, de cultiver la solidarité, le partage et l’entraide.

Ainsi les ressources en eau, en bois, les cultures, les systèmes d’irrigation, les marais salants, les fontaines, les granges villageoises, les campagnes de labour, les campagnes de défrichage, les grandes fauches et les récoltes, les voies d’accès, les ponts, les pontons et les ports, les remparts, les vigies, les lieux de culte, les cimetières, etc... formaient la somme des Communs de la communauté. Chacun contribuait et était rétribué à la mesure de son travail.

Par spécialisation, certains (forgerons, meuniers, fumeurs, menuisiers, tisserands, orfèvres, apothicaires, guerriers) prospéraient en symbiose avec l’intérêt collectif, symbiose concrétisée souvent par le fait que les forges, les moulins à blé, les fumoirs, les pressoirs étaient à l’origine des installations construites et maintenues par la collectivité.

Un grand enjambement de l’histoire, par-delà les pharaons, les cités grecques, les empires romains et ottomans jusqu’aux sociétés moyenâgeuses nous amène, 4000 ans plus tard, à un morcellement des Communs qui, pour beaucoup, se sont vus peu à peu attribués aux communautés humaines via des concessions octroyées par les puissants (seigneurs ou monastères) telles la coupe de bois et de branchages, la collecte de résine, les territoires de chasse et de pâturages, les fermages et métayages. Les dîmes, gabelles, cens, tailles et autres impôts se sont substitués aux rapports de contribution/rétribution primitifs.

 

L’or du Roi, le Commun monétaire

« Plus besoin de se départir de valeurs précieuses pour faire tourner la roue des marchés, plus besoin de rechercher l’équilibre entre la masse monétaire et la création de richesses, plus besoin de cette promiscuité partageuse à l’endroit du peuple. Les pilleurs ont changé de méthode et le dernier Commun monétaire qui reste aux citoyens, c’est la Dette. »

A ce stade, on doit, quoi qu’on puisse retenir contre l’Ordre royal, se figurer la conscience aiguë que devaient en avoir les puissants pour mettre à disposition des communautés du Royaume leur propre réserve d’or, d’argent ou de cuivre.

Car, parmi les actes qui consacrent le plus à l’esprit des Communs, celui de mettre en circulation les richesses-métal royales est sans doute le plus édifiant. L’or était une ressource limitée, pourtant le Roi s’en « défaisait » (en payant ses soldats) pour qu’il se retrouve dans les bourses et goussets de ses sujets et ainsi faire tourner l’économie… et rendre son pouvoir incontournable.

Certes, la musique de cette ronde sonnante et trébuchante de Louis d’or et d’argent n’était jamais entendue que de très loin par les manants-esclaves dont le labeur était pillé en bonne et due forme par les castes supérieures (nobles, ecclésiastes, marchands et banquiers).

Mais, pour s’en tenir à la lettre de ce système, les monnaies-métal à l’effigie du Roi représentaient peu ou prou le sang fiduciaire qui irriguait l’économie, le Commun monétaire.

Pourrait-on aujourd’hui imaginer telle abnégation (prise de risque) de la part de nos banquiers ? De nos jours, la monnaie est immatérielle. L’argent est créé ex-nihilo par eux ! Alors à quoi bon la solidarité nécessaire, la collaboration communautaire, l’entraide, le partage des bras et de la sueur. Tout cela a été dilué dans le gouffre sans fond de la création monétaire ex-nihilo.

Pourquoi donner le change ? Plus besoin de se départir de valeurs précieuses pour faire tourner la roue des marchés, plus besoin de rechercher l’équilibre entre la masse monétaire et la création de richesses, plus besoin de cette promiscuité partageuse à l’endroit du peuple. Les pilleurs ont changé de méthode et le dernier Commun monétaire qui reste aux citoyens, c’est la Dette.

 

Bien que l’image idyllique de la communauté originelle et de ses Communs universels ait disparu, l’esprit des Communs était encore vivace jusqu’au siècle dernier. Sans doute parce que les monnaies étaient encore adossées aux réserves d’or des banques centrales – ce qui n’est plus le cas depuis Bretton Woods (1944) – et que leur finitude les assimilait encore à un Commun.

 

« Je possède donc je me sauve »

« Le glissement ultralibéral de nos sociétés apparaît non pas comme un glorieux mouvement de progrès adossé à une libération tout azimut des énergies entrepreneuriales et conquérantes, mais comme un gigantesque chantier où chaque exploitant-propriétaire édifie un radeau de survie en vue de la raréfaction des ressources et du péril de la surpopulation. »

L’autre facteur de la disparition des Communs est la raréfaction de la ressource et, concurremment, la croissance de la population qui la consomme.

En effet, lorsqu’un pâturage est immense pour un nombre limité de bêtes, à quoi bon se battre pour en revendiquer la propriété. Alors quand la situation s’inverse, les solutions à mettre en œuvre devraient être la préservation de la ressource, l’administration de son exploitation et le rationnement. Bienvenus dans le monde « moderne », celui du collapse En Marche.

Mais ce qui semble tomber sous le bon sens (s’orienter vers le souci du bien commun) n’est pas posé en ces termes par tous. Nos sociétés (et particulièrement les puissants qui les dirigent) privilégient au contraire la compétition et l’accaparement devenu vital.

A noter que cette notion de risque vital n’est pas toujours envisagée consciemment, puissants compris. Ceux-là sont excusables. Par contre, les autres, les oligarques conscients, ceux qui, en connaissance de cause, ne choisissent pas la sauvegarde du bien commun, sont alors assimilables à des destructeurs cyniques et criminels.

Le problème, posé en ces termes, fait apparaître le glissement ultralibéral de nos sociétés, non pas comme un glorieux mouvement de progrès adossé à une libération tout azimut des énergies entrepreneuriales et conquérantes, mais comme un gigantesque chantier où chaque exploitant-propriétaire édifie un radeau de survie en vue de la raréfaction des ressources et du péril de la surpopulation.

Ainsi les privatisations des activités vitales et structurantes de la société, adossées à l’argument qui affirme qu’un propriétaire gérera bien plus rationnellement SA ressource qu’un Collectif parce que, justement, il en est Propriétaire, sont en fait l’expression d’un instinct de survie profondément enfoui sous la dénégation de la finitude de la marche expansionniste de l’Humanité.

Il ne s’agit plus de gain, de jouissance et de confort ; il s’agit désormais d’autonomie et de survie. « Je possède donc je me sauve ».

N.B. : Ce syndrome de « panique refoulée » pourrait expliquer la mystérieuse affection psychopathique dont souffrent les 1 %, les 26 personnes qui possèdent à elles seules autant que la moitié de l’Humanité. En psychanalyse, on qualifie tout syndrome d’accumulation de « régression en stade anal ». Mais on laissera ces hyper-riches se payer eux-mêmes un psy.

 

Le prima de l’Argent sur la Vie

« La confusion mentale est à son comble: quand on questionne les gens sur l’écologie et le réchauffement climatique, ils se prononcent majoritairement pour une action nécessaire. Quand on les questionne sur les Services Publics, ils les plébiscitent. Mais dès lors qu’on les interroge sur l’ordre économique, ils se mettent à réciter le catéchisme ultralibéral rabâché à la télévision »

Face à l’option « Privatisations », l’option des « Nationalisations » était donc encore sur la table jusqu’à la fin du siècle dernier. Il s’agissait de s’en remettre à l’État (émanation légitime du Collectif) pour administrer et exploiter les ressources relevant des Communs. Il s’agissait d’extraire de la sphère privée ce qui relevait des ressources vitales.

 

Le brevetage du vivant, le Commun suprême

« Ils ont tué leur mère » – réplique du film Avatar -

Mais en retour, on a vu les puissants faire exactement le contraire.

Ils ont revendiqué le brevetage du vivant, les multinationales (Coca Cola, Nestlé) confisquer les réserves d’eau, les places boursières alimentaires (Chicago) fomenter des pénuries et des famines pour faire grimper les cours, des laboratoires faire de même avec leurs médicaments brevetés, les industries agroalimentaires se garantir des monopoles vitaux en bridant la capacité de réensemencement de leurs graines, des industriels de tout poil organiser l’obsolescence programmée de leurs produits, les majors du net « capturer » leur clients via des systèmes « propriétaires » (non compatibles), et surtout les banquiers jouer de la charge indue d’intérêt (d’usure) pour étrangler et dévaliser les emprunteurs captifs par obligation.

L’actualité récente qui voit la médiatisation d’un phénomène qui n’est pourtant pas récent - les incendies généralisés des grandes forêts du globe - illustre fort bien la complicité patente entre élus et la sphère privée. L’arme juridique qui statuerait à l’interdiction d’installation et d’exploitation privées dans les zones dévastées pendant plusieurs décennies serait une solution qui réglerait la commission d’autres actes criminels et réduirait à néant les profits à tirer de ceux déjà commis. Mais les élus se gardent bien de prendre ce genre de disposition. Ce qui en dit long sur leur connivence criminelle.

 

Lavage de cerveau

Il est alarmant de voir que la priorité de l’argent sur le vivant et sur les Communs en général est une conception du Monde de plus en plus acceptée dans la société. L’inhumanité des « argentiers » a infusé, tel un lavage de cerveau insidieux, et devient principe de normalité.

Par exemple, on refuse de soigner des patients dépourvus d’assurance santé, on verbalise l’excès de vitesse du bon samaritain en route pour les urgences. La realpolitik légitime des bombardements d’hôpitaux, le massacre d’enfants, le gazage de population au nom de la raison d’état. « On n’y peut rien, c’est comme ça » dit-ON et ON est un C...

La confusion mentale est à son comble : quand on questionne les gens sur l’écologie et le réchauffement climatique, ils se prononcent majoritairement pour une action nécessaire. Quand on les questionne sur les Services Publics, ils les plébiscitent. Mais dès lors qu’on les interroge sur l’ordre économique, ils se mettent à réciter le catéchisme rabâché à la télévision « il n’y a plus d’argent », « il faut faire des sacrifices », « il faut rembourser la dette », « les privatisations vont nous sauver ».

Le fatalisme remplace les scrupules, et les scrupules sont considérés comme le réflexe des faibles et des naïfs. La compassion est un sentiment ringard et la gentillesse est au mieux une perte de temps, au pire de la bêtise.

Les barrières sont tombées. Un Henry Dunant, fondateur de la Croix Rouge, passerait de nos jours pour un joyeux illuminé. L’humanisme, une fable pour looser.

La Vie n’a plus de valeur…, ou plus exactement la Vie aura la valeur de ce que le gueux-consommateur-manant-citoyen, le canon sur la tempe, pourra donner en dernier ressort pour se sauver. La Vie est une marchandise et Mengelé est au tiroir-caisse.

 

Cette digression assumée montre que les privatisations sont la tête de pont du combat que mène l’Ultralibéralisme CONTRE le Bien Commun.

D’ailleurs les arguments avoués pour les légitimer à savoir :

sont la copie conforme des préceptes du Libéralisme « canal historique ».

 

Il ne s’agit pas ici de disserter des qualités et défauts du Libéralisme et du Capitalisme - quoique -; il s’agit ici de constater à quel point la destruction des Communs mène à la normalisation de la déshumanisation de notre société. Le prima de l’Argent sur la Vie.

 

Défaite de la morale

« L’esprit des Communs fut celui qui permit aux premiers Hommes de survivre alors que les ressources étaient difficiles à exploiter. .../… Aujourd’hui, à l’heure où les ressources diminuent pour cause de raréfaction et de surpopulation, l’Homme décide paradoxalement et absurdement de s’éloigner plus encore de cet esprit. »

La morale aussi est une valeur déconstruite par les préceptes libéraux, pour autant nous consacrerons à l’acte « dissident » d’y faire, ici, référence.

Le conflit entre Communs et Ultralibéralisme est hautement moral en ce sens que les uns sont une émanation directe des valeurs ancestrales (Solidarité, entraide, partage, instinct de vie, humanisme,…) et que l’autre en a fait table rase en se basant sur des valeurs uniquement pragmatiques (profit, intérêt de caste, égoïsme, calcul, licence accordée au vice, …). Toute la nuance entre l’instinct de conservation (de la communauté et de sa descendance) et l’instinct de survie (« sauver ses fesses »).

Les héros sont morts et ceux que l’on voit traverser nos écrans de télévision sont les dérivatifs oniriques et spectaculaires des petits exploits que les couards ne feront jamais et que les Hommes de bien n’auront plus l’opportunité de réaliser faute de bien commun à défendre.

La défaite de l’esprit des Communs et la réduction drastique du nombre des sociétés nationales dans tous les pays du globe se sont-elle jouées à Bretton Woods ? Ou au moment où les pays se sont défait de leur souveraineté en confiant la création du Commun monétaire aux banques privées ? Ou bien à l’avènement du « Village Global » surgi de l’apparition simultanée de l’internet, de l’économie mondialisée et des transports de masse et propulsant paradoxalement un individualisme généralisé ?

Les chemins qui ont mené à cette défaite sont certes complexes et multiples, mais la cause première prend racine dans l’animal qu’est resté l’Homme et dans son instinct irrépressible de survie.

Mais cet instinct ne garantit pas qu’il mène immanquablement aux bons choix.

 

L’esprit des Communs fut celui qui permit aux premiers Hommes de survivre alors que les ressources étaient difficiles à exploiter. L’esprit des Communs permit leur évolution, leurs conquêtes, leur affranchissement des contraintes.

Aujourd’hui, à l’heure où les ressources diminuent pour cause de raréfaction et de surpopulation, l’Homme décide paradoxalement et absurdement de s’éloigner plus encore de cet esprit.

L’individualisme autorisé par l’abondance (épisodique au regard de l’histoire et géographiquement circonscrite aux pays « Maîtres du Monde ») atteinte au siècle dernier, le pousse à croire en des solutions égocentrées. Il ne faut pas être Grand Clerc pour préjuger du résultat.

Seul le retour à l’esprit des Communs nous permettra de surmonter les épreuves qui nous sont imposées et d’amortir les effets de celles, immenses, qui se profilent à grand pas.

Jean-Charles Aknin